Marges du destin, Destin des marges

Dr Fred Fliege, 2016

Fred Flieimg_ajout_panierge s’est employé à étudier ici les déterminants inconscients des symptômes de destinée.
Il a notamment interrogé les liens entre la relation d’objet et certaines défaillances de l’instance topique de l’idéal du moi, ainsi que l’incidence de ces conjonctures psychologiques sur les parcours individuels de ses patients.
Ceux-ci souffrent de syndromes de destinée, se traduisant par des fiascos répétés dans leur existence. Cependant, l’auteur illustre comment, grâce aux effets surprenants de la parole, ils parviennent à échapper au sort qui semble s’acharner sur eux, à se réapproprier leur histoire ; enfin, à redécouvrir et à accueillir leur propre désir.

Une investigation psychanalytique, menée dans le cadre du CEPPA – Centre Européen de Psychologie clinique et de Psychanalyse

Sous la direction de Fred Fliege

 Présentation

 Conçu en tant qu’approche psychanalytique des syndromes de destinée, ce travail s’inscrit dans une série d’investigations, menées dans le cadre du CEPPA (Centre Européen de Psychologie clinique et de Psychanalyse), et plus particulièrement dans son volet de recherche, intitulé ‘la place de l’Autre en psychanalyse’.

  1. Travaux antérieurs

Dans un premier temps, nous nous sommes appuyés sur les hypothèses, à propos du destin, de S. Freud et de J. Lacan, en vue d’élaborer un appareil théorique et une grille de lecture permettant d’appréhender la dynamique, la structure, l’étiologie et la thérapie des symptômes de destinée.

  1. La relecture freudienne du destin

Le père de la psychanalyse attribue l’origine de ces manifestations aux caractéristiques du surmoi, déterminées, à leur tour, par celles du père : « Si le père était dur, cruel, violent, alors le surmoi recueille de lui ces attributs ».

Par ailleurs, un surmoi sadique – susceptible de provoquer l’échec du refoulement -, serait à même de déclencher une reviviscence de mécanismes archaïques, i.e. le masochisme, la passivité et la féminisation du moi : « Dans sa relation [du surmoi] avec le moi, la passivité, qui précisément devait être refoulée, s’établit de nouveau. Le surmoi est devenu sadique, le moi devient masochiste, c’est-à-dire, au fond, féminin passif ».

Dans tous les cas, il situe le fondement surmoïque de ces symptômes dans la perception du père par le sujet : « Si le père était dur… ».

Freud fait également allusion au caractère « démoniaque » que paraissent receler certaines existences, truffées de revers et d’échecs.

Ainsi, il constate que certaines personnes, ne montrant par ailleurs aucun symptôme névrotique, « donnent l’impression d’un destin qui les poursuit, d’une orientation démoniaque de leur existence ».

L’idée véhiculée par ce vocable, du grec ‘daïmôn’ (« dieu, déesse », plus tard « divinité inférieure »), fait référence à une force ‘supra-humaine’, laquelle n’est pas sans évoquer la dimension d’un surmoi féroce, non intégré dans le moi.

  1. Le point de vue freudien à l’épreuve de la pratique clinique

La symptomatologie que nous tentons d’instruire ici paraît d’abord porter sur l’échec personnel et professionnel du sujet, sur son incapacité à tisser des liens sociaux, voire sur sa propension à éviter ceux (p.ex. les psychanalystes) qui pourraient lui permettre de prendre ses distances d’avec ce qui le fige dans son naufrage. On peut d’ores et déjà envisager une certaine analogie entre le phénomène décrit par Freud et la marginalisation sociale dont font l’objet les patients participant à cette enquête.Dans cette hypothèse, « le destin » – étudié ici sur l’exemple de l’exclusion sociale, en tant qu’elle peut faire symptôme – ne serait donc « pas différente de la compulsion de répétition des névrosés ». Sur le plan de la causalité psychique, un « tel destin [serait alors], pour la plus grande part, préparé par le sujet lui-même, et déterminé par des influences de la petite enfance ».

Freud suggère l’existence d’une corrélation entre la compulsion de répétition et les effets autodestructeurs de l’attitude subjective sous-jacente aux pathologies de destinée : « Il y a des gens qui répètent toujours, à leurs dépens, les mêmes réactions sans les corriger (…). Nous attribuons alors à la compulsion de répétition le caractère démoniaque ».

 

Enfin, il nous paraît essentiel de pointer le génie audacieux de Freud, lorsqu’il envisage un système d’équivalences entre le fonctionnement psychique et le versant événementiel de l’existence :

Tout d’abord, il avance que la signification subjective d’une punition équivaut à celle de la castration : « Toute punition est bien dans son fond la castration ».

Allant plus loin, il n’hésite pas à assimiler le destin aux effets inconscients d’une projection du père (« le destin lui-même n’est en définitive qu’une projection ultérieure du père ».

Enfin, il élargit sa conception du destin en affirmant que « le sort est (…) un substitut de l’instance parentale ».

Si certaines de ces assertions peuvent paraître proprement vertigineuses, elles représentent surtout l’aboutissement d’une réflexion ingénieuse sur la nature même du symptôme, ainsi que sur le statut symptomal du destin et sur la place de l’instance parentale – et notamment celle du père – à l’égard de l’existence.

  1. L’apport lacanien

Selon Jacques Lacan, dont l’audace épistémologique n’a rien à envier à celle de Freud, la mère est porteuse de ‘lalangue’, laquelle a pour fonction capitale l’appropriation symbolique, par l’enfant, de la réalité. Ce pionnier de la psychanalyse soutient que « (…) ce n’est pas dans le dictionnaire qu’on la [lalangue] trouve, qu’elle est d’abord l’œuvre des femmes ». D’après Lacan, « les hommes sont plus occupés, quant à eux, à ce vers quoi les pousse leur tropisme phallique : maintenir les formes, les règles ».

Dans son discours de Rome, Jacques Lacan avance que les trois instances RSI (réel, imaginaire, symbolique) ne sont pas tenues, pour se nouer de manière borroméenne, d’être toutes toriques.

Par ailleurs, s’il qualifie le symbolique et l’imaginaire de « registres », il exprime sa réserve quant à nommer une catégorie susceptible de définir le réel.

L’une des spécificités du réel résiderait en ce qu’il demeurerait, inévitable, lorsque le symbolique et l’imaginaire auraient déserté la place, et que le nœud borroméen ne serait pas formé.

Autrement dit, quand le symbolique et l’imaginaire feraient faux bond au sujet, le réel, lui, subsisterait.

Or, les données empiriques relevées dans ce travail paraissent poser le problème sous une forme inversée, à savoir ce qu’il en est quand la défaillance psychique semble découler d’une carence au niveau du réel lui-même.

Toutefois, ce dont il s’agit ici ne semble pas seulement relever de la dimension topique du réel en soi, mais encore d’un réel défini par son statut de modalité indissociable de la fonction paternelle.

Cette distinction suppose, bien entendu, deux acceptions du réel. D’une part, il désignerait le reste non symbolisé par l’opération de la castration, l’impossible, le trou dans l’ordre symbolique.

De l’autre côté, il se référerait – et seulement à titre de composant du binôme de « père réel » – au manque, aux penchants, aux failles du père en tant que sujet désirant.

On sait le rapport structurel qui relie les fonctions respectives du père réel et du père symbolique, impliquant un recouvrement partiel entre leurs places respectives.

En effet, l’interdit confère au sujet sa position sexuée pour la seule raison que le père possède la mère. En d’autres termes, ce n’est qu’en sa qualité d’objet du désir maternel que le père occupe à la fois les positions symbolique et réelle pour l’enfant.

Mais, au vu des données cliniques ici recueillies, il nous paraît peu opérant de faire l’impasse sur l’existence éventuelle de conditions supplémentaires en ce qui concerne le statut métapsychologique du père réel.

Ainsi, les cas ici exposés semblent illustrer la manière dont la désaffection paternelle peut obturer non seulement l’advenue de la fonction du père réel, mais aussi celle du père symbolique.

  1. Conclusions théoriques et dénouements thérapeutiques

A partir d’un corpus conséquent de données cliniques, nous nous sommes employés à étudier les déterminants inconscients des symptômes de destinée.

Dans cette perspective, nous avons interrogé les liens éventuels entre la relation d’objet et certaines défaillances de l’instance topique de l’idéal du moi, ainsi que l’incidence de ces conjonctures psychologiques sur les parcours individuels de nos patients.

Avant d’entrer en analyse, ceux-ci paraissent souffrir de syndromes de destinée fortement invalidants, se traduisant par des fiascos répétés, sur tous les plans de l’existence.

Cependant, ce travail illustre comment, grâce aux effets surprenants de la parole, ils parviennent progressivement à s’affranchir des mécanismes inconscients qui les emprisonnent ; à échapper au sort qui semble s’acharner sur eux ; à se réapproprier symboliquement leur histoire ; enfin, à redécouvrir et à accueillir leur propre désir.

© Fred Fliege, CEPPA 2016

ISBN 979-10-93874-01-2

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